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Le temps, l’espace, de rêver, créer, respirer

Chronique d’un Jour Bleu – Musique et Engagement

Radio Libertaire – 17 septembre 2023

Chères auditrices, chers auditeurs,

J’espère que l’été a été riche en nouveautés et découvertes, que l’adaptation que nous demande le monde vous a permis d’être créatif et de transformer des habitudes en moments présents, avec toute la valeur de la transformation.

La musique et ses mille fonctions ! de guérisseuse à divertissante, de rituelle à passe-temps. Aujourd’hui je veux vous parler de « Musique et Engagement ». Ma pensée nous emportera dans nos êtres, en Bretagne, sur les territoires australiens, nous nous perdrons dans la nature et puis nous reviendrons ici à Paris.

Nous avons discuté avec Frantz-Minh et cette chronique ne sera que partielle, elle initie une pensée. Je serais très heureuse d’avoir vos retours,

« Être engagé » dans une direction précise, où nous avons fait le choix d’être, et non portés là par hasard, dans un état de semi-torpeur.

Engagement physique
Engagement mental
Engagement Politique

Engagement interne de soi à soi pour porter vers l’extérieur un message. Pour s porter soi-même sur des routes de découvertes et de création.
C’est un engagement physique du musicien qui va créer les sons qui vont être perçus autant au niveau du corps que des oreilles. Énergie invisible mais qui nous fait aimer une personne, nous fait sentir cette chose spéciale du concert, du spectacle vivant. C’est une partie qui se perd dans l’enregistrement, que ce soit vidéo ou sonore. Mais la trace de cet engagement sera bien là dans l’intensité du son, dans la densité des notes, dans leur attaque dans leur couleur, comment elles se lient l’une à l’autre.
Ce qu’a à dire le musicien donne la direction de l’engagement, dans l’improvisation alors ce sera le langage qui se développera d’une certaine manière.

Pour illustrer ce propos je voudrais vous raconter l’histoire de deux musiciens, Jean-Luc Thomas et Gab Faure, qui durant le Covid ont trouvé la solution pour jouer. Le lieu où tout était encore possible, alors que la société était à l’arrêt, c’était le camps de réfugié de Calais. Après quelques jours à partager leur musique bretonne il leur a été suggéré d’apprendre un morceau de la terre de ces migrants. L’accueil qui était bon jusque là est devenu très chaleureux. Aujourd’hui ce morceau est à leur répertoire, il s’appelle « Al Ayyam el Khalidah ».
Comme nous sommes à la radio et que ce matin notre programme est très chargé nous allons écouté un titre plus court de ce très bel album Gwiad, qui signifie « tissage » en breton. Je vous ai choisi le titre « relié aux idéalistes et au mur de la réalité » : In Drum sure casa de Goerge Banariuc.

ÉCOUTE : « In Drum spre casà» de Jean-Luc Thomas & Gab Faure
Extrait du disque Gwiad, paru chez Hirustica / L’Autre Distribution le 26 mai 2023
Jean-Luc Thomas : Flûtes – Gab Faure : Violon 
4’32

Créer des chemines de traverse, s’engager, tous pour que la diversité et la créativité humaine puisse exister et nous surprendre encore et encore !

Et si l’on rêvait ?
De ces rêves qui construisent le monde. Quel engagement cela serait-il de jouer pour créer le monde de demain ?
Si le son organise la matière, alors cela devient possible. Notre musique, notre chant peut transformer le monde autour de nous.
Avant toute chose un petit quizz musical : d’où vient ce chant ? vous avez 40 secondes pour vous décider !

ÉCOUTE : Kangaroo Ritual Chant – 0’21’’ – Tribu PITJANJARA
Extraits de « Australie » enregistré par Villeminot – Collection du musée de l’homme – Vogue records en 1971

Je ne sais pas si vous comme moi mais j’y ai entendu l’Inde, et le sous continent indien. Et bien non !
Partons il y a 40 000 ans, partons à des milliers de kilomètres de la vie d’ici, partons chez les aborigènes d’Australie. Ces peuples parlent d’avoir été là depuis « la nuit des temps », et il y a un doute sur la date exacte, pouvant aller d’il y a 40 000 ans à 70 000 ans. Leurs ancêtres ont rêvé la terre puis ils l’ont chanté, alors le monde est apparu. Ainsi en parle Bruce Chatwin dans son livre « Le Chant des Pistes »* : « Au commencement la terre était une plaine sans fin, obscure, séparée du ciel et de la mer grise étouffant dans une pénombre crépusculaire. Il n’y avait ni soleil ni lune ni étoiles […]
A l’aube du premier jour, le Soleil eut envie de naître (bientôt suivi le soir même par les étoiles et par la Lune). Le Soleil creva la surface de la Terre, l’inondant de sa lumière dorée, réchauffant les trous sous lesquels dormaient les ancêtres. […]
Chacun de ces anciens (baignant alors dans la lumière du soleil) avança son pied gauche et nomma une chose. Il avança son pied droit et en nomma une autre. Il nomma le point d’eau, les roselières, les gommiers… donnant des noms de tous côtés, appelant à la vie toutes choses et tissant leurs noms dans des strophes.
Les anciens s’ouvrirent un chemin dans le monde entier par leur chant. Ils chantèrent les rivières et les montagnes, les lacs salés et les dunes de sable. Ils chassèrent, mangèrent, firent l’amour, dansèrent, tuèrent : partout où les portaient leurs pas, ils laissèrent un sillage de musique.
Ils enveloppèrent le monde entier dans un réseau de chants; et ,enfin, lorsque la Terre fût chantée, la fatigue les envahit. De nouveau ils ressentirent l’immobilité glacée des temps. Certains s’enfoncèrent dans le sol où ils se trouvaient. D’autres se glissèrent dans des cavernes. D’autres encore regagnèrent en rampant leur « demeure  éternelle », le point d’eau ancestral où ils étaient venus au jour. 
Et tous s’en retournèrent sous terre. »
Quel engagement pour ces peuples qui passaient leur temps à marcher, peuple de chasseur-cueilleur, et chaque jour ils se rappelaient les chants, ils rappelaient l’existence de la terre, par un état d’être propre à eux, dans un respect de la nature et du milieu dans lequel ils vivaient.

ÉCOUTE : Kangaroo Corroboree – 1’42 – Tribu PITJANJARA
Extraits de « Australie » enregistré par Villeminot – Collection du musée de l’homme – Vogue records en 1971
ÉCOUTE : Un matin de printemps en forêt vosgienne, remplie de chants d’oiseaux.
0’41’’

Et soudain le retour chez nous, avec une autres espèce qui chante le monde : les oiseaux. Le chant des oiseaux seraient bien plus importants que de simplement marquer leur territoire. Ils seraient un véritable « engrais acoustique » pour la forêt et les plantes, aidant à créer par leur chant le monde qui les entourent.
C’est ce que nous dit Ernst Zürcher cet ingénieur forestier, docteur en sciences naturelles, professeur et chercheur en sciences du bois à la Haute École spécialisée bernoise, chargé de cours à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et à l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETHZ).

Au point de départ de cette Chronique était mon envie de vous parler de ce qui fait que chaque jour j’ai envie de faire quelque chose, et que cet engagement donne lieu à des choix. Un engagement face à ce que nous vivons, à notre société, à notre temps historique.
Je voulais vous parler d’engagement physique, d’engagement moral, mais aujourd’hui il est difficile de ne pas parler d’engagement politique.
Politique comme organisation de la vie de la cité.
Cette vie aujourd’hui dans le monde qui est le nôtre, dans ce pays.

Dans les prochains jours il y a les États Généraux des Musiques du Monde à Paris sur le thème « Géopolitique et Musique » porté par le réseau Zone Franche, dix ans après leur première édition en 2013. C’est dans ce contexte que j’ai, et sûrement beaucoup d’entre nous, ont appris que les collaborations devaient être cessées par « l’instruction du ministère de l’Europe et des affaires étrangère à celui de la Culture édictant aux acteurs culturels de ne plus travailler avec des ressortissants maliens, nigériens, burkinabés ».
C’est une onde de frissons qui s’abat sur mon corps, sur mon âme. Serions-nous uniquement des marionnettes que l’état peut faire marcher ou arrêter ? Une ère pré-robotique.
Mon corps et mon cœur frissonnent devant les conséquences d’une politique. Il a toujours été clair que les aides, dont nous avons la chance d’être munis en France, sont un moyen de soutenir un art officiel.

Les États généraux des musiques du monde se tiendront à Paris les 19 et 20 septembre. C’est un temps fort de la profession, nous permettant de se confronter à des engagements divers des programmateurs, des producteurs, des artistes. Ces journées deviennent donc essentielles.
Interdiction avec représailles pour qui voudrait continuer une collaboration, terminer un projet engagé. Nous pensons à tous ceux qui, dans leur pays, s’engagent pour leur terre, pour leurs droits, ou simplement défendent leur culture. Un soutien à tous les artistes ressortissants de ces pays, ces mêmes pays dont la culture colore notre culture, qui nous ont tant donné pour nous permettre de rester vivants, apprenant de leur musique comme ils ont appris de la notre.
Restons attentifs à nos actes, à nos engagements. Si aujourd’hui cet acte du gouvernement nous choque, que c’est-il passé lors du début du conflit Russo-Ukrainien ? Mes amis musiciens russes m’avaient alors raconté la soudaine difficulté à travailler. Avaient-ils changé eux ?
Attentifs à trouver une pensée au delà du binaire, cette troisième voie existe, c’est la Paix, et l’humanisme.

Je vais terminer par un poème que j’ai écrit suite au communiqué de Zone Franche, que je vais accompagner d’une improvisation à la flûte.

Les musiques du monde
La musique d’un monde
La musique de vos erreurs
La musique de nos amours
La musique de vos guerres
La musique de nos migrations
La musique d’accueil
La musique des seuils
La musique des cupidités
La musique des bottes et la musique du fer
La musique du sang dans nos veines
et de nos cœurs qui battent
de nos corps qui vibrent
de la peau qui brille
La musique du vent du soleil et de la lune
La musique qui vit
qui s’engage et qui nourrit

Un Monde
Des musiques

Une Musique
Des mondes . des êtres

Des rêves
Diversité

Il nous reste à faire vibrer le monde de toutes ses couleurs, à garder vivantes toutes les formes d’art, à rêver encore et jouer, chanter et danser. Soyons vivants et engagés !

* Bruce Chatwin, Le Chant des pistes, Le livre de poche, Grasset, 1988