Chronique d‘un Jour Bleu | De l’art-médecine à l’entertainment, une lente perte de cœur et de responsabilité | 16/04/ 2023
Radio libertaire – 16 avril 2023
Chères auditrices, chers auditeurs,
Le sujet de ma Chronique aujourd’hui est vaste, et peut-être nous en aborderons seulement quelques aspects. Je serais ravie d’avoir vos idées sur ce sujet, échanger par la suite.
Je voulais me pencher sur une évolution de notre rapport à la musique, à la musique du monde bien sûr, mais aussi à la musique en général.
Je suis donc remontée à ce qui me semble être un état de l’art présent dans les musiques du monde, comme elles nous ont été présentées au moment où il a été possible d ‘écouter ce que les peuples de chaque partie du monde, avec leur propre mode de vie arrivaient à créer, à exprimer.
Je l’ai appelé Art-médecine, peut-être un peu hâtivement, et généralement, mais je voulais souligner la fonction de cette musique, de ces chants, qui est souvent une fonction d’apprentissage de la vie, des règles sociales, de mouvement du corps nécessaires pour préserver la vie. Art-médecine car il soigne, peut-être aussi il « entretient », dans le sens qu’il ne détruit pas qu’il régénère avant que le corps ne tombe malade. Qu’il permet des relations sociales, des moments d’intimité, aide à recréer un équilibre.
Comme exemple, là je pense aux Chants de gorge Inuits. Ils sont chantés uniquement par des femmes. Cela développe un travail sur le diaphragme pelvien, partie fondamentale à connaître pour un accouchement dans les glaces, ce chant réchauffe, ce qui est pratique dans ces températures, c’est un jeu, et c’est un mode de contact avec les esprits des lieux, notamment l’Esprit de l’Ours, auquel les femmes demandent pardon car leurs maris, partis à la chasse, vont prélever un des membres de la tribu Ours, et elles demandent aussi la protection de leurs époux.
Que de fonctions pour une musique !
Nous allons l’écouter, ce chant Inuit, Katajjaq.
ÉCOUTE : « Trois pièces de jeux de Gorge Katajjaq », extrait du disque Les Voix du monde, une anthologie des techniques vocales, sorti en 1996 sur le label Le chant du monde.
Je vous concède que ce n’est pas ce que j’écouterais tous les jours dans mon salon, mais à faire c’est autre chose, et c’est très drôle.
Passons à la suite de notre titre :
Entertainment
De nouveaux mots apparaissent toujours dans notre vie et certains sont en anglais, comme ce mot Entertainment. Il n’a pas d’équivalent en français. Le plus proche que nous ayons est le divertissement.
Je me suis penchée dans mon Petit Robert pour réussir à définir ces mots qui sont venus s’assembler ainsi dans ma tête. à Divertissement j’ai trouvé :
1- Action de détourner, écarter. Détournement par un copartageant (cohéritier) d’une partie de la succession ou de la communauté.
2 – Action de détourner de ce qui occupe. Distracion. Occupation qui détourne l’homme de penser aux problèmes essentiels qui devraient le préoccuper. Pascal : « Le divertissement nous amuse et nous fait arriver insensiblement à la mort. »
3 – Action de divertir, de se divertir
Je suis aussi aller chercher Entertainment dans notre grande toile internet, qui est apparu tout seul à côté de divertissement avec néanmoins une différence non négligeable, je vous lis ce qui est apparu dans Wikipedia :
« Le mot anglais entertainment n’a pas vraiment d’équivalent en français. On dirait peut-être « divertissement », mais « entertainment » comprend le commerce et la fabrication d’un spectacle irréprochable et universel. La comédie musicale est l’usine à créer un moment de pur bonheur alliant le chant, la danse et le théâtre. Ce commerce met en œuvre des armées de danseurs, de chanteurs, de musiciens, d’écrivains, de compositeurs, de paroliers, de chorégraphes, de metteurs en scène, de producteurs, de décorateurs, de couturiers… mais aussi de banquiers ! » Susie Morgenstern.
Grand écart donc, où nous avons l’entrée claire et définitive de la valeur Argent dans la boucle. Non pas seulement pour nourrir les artistes mais aussi créer de la valeur à la banque. Nouvelle notion donc qui s’ajoute à l’art, celle de faire de l’argent. Je ne voudrais pas être mal comprise et que vous pensiez que je désire que l’art soit gratuit, car je suis musicienne, et c’est ainsi que je vis. Dans cette société où l’argent est nécessaire, nous n’avons pas le choix. Ma question est : l’argent doit-il devenir la valeur principale qui sous-tend nos actions ?
Mais continuons notre chemin dans les définitions de notre cher Petit Robert :
Cœur : 1- Organe central de l’appareil circulatoire.
2- La poitrine : serrer contre son cœur 3- L’estomac : Avoir mal au cœur.
II 1-: Siège des sensations et émotions
2- Le cœur siège du désir, de l’humeur
3- Le siège de l’affectivité
4 – Bonté, sentiments altruistes
5 – (XII) Le cœur source des qualités de caractère, siège de la conscience
6 – La vie intérieure, la pensée intime, secrète.
7 – De mémoire, apprendre par cœur
Responsabilité : 1 – Obligation pour les ministres de quitter le pouvoir lorsque le corps législatif leur retire sa confiance.
2- Obligation de réparer les dommages que l’on a causé par sa faute, dans certains cas déterminés par la loi.
3 – langage courant : Obligation ou nécessité morale, intellectuelle, de réparer une faure, de remplir un devoir, un engagement.
Les musiques du monde aujourd’hui ?
Une question large, une question qui me chagrine. Si toutes les musiques sont du monde car c’est ici que nous vivons, il y a sous cette « bannière », les musiques traditionnelles et parfois savantes des différents peuples du monde. L’expression particulière de leur art.
Tout artiste désire rencontrer son public, et jouer pour lui. A quel moment doit-on se plier à la généralisation d’un genre? A la demande de programmateurs, à la facilité d’écoute ?
J’ai entendu beaucoup de choses dernièrement qui classées dans le domaine de la musique du monde, relèvent plus du domaine du rock et des musiques amplifiées, recherche de succès, désir d’entertainment ? Est-ce cela la suite du passage des grands artistes américains et anglais de la pop ? Ils ont réussi à rentrer, et définissent aujourd’hui nos rythmes de vie, l’organisation carrées de notre tête, l’acceptation d’un « rêve américain ».
Où est le contre-pouvoir ? le courant des musiques du monde ? Celui qui crée des îlots, des visions, où la matière sonore peut créer un monde demain, avec ses mélisses, avec ses danses, sa nature et ses rythmes.
Parce que nous sommes allés écouter un magnifique concert hier au soir, et que cela m’a mise en joie d’entendre une musique qui a faite rêver, mais aussi rire et danser. Une musique qui dit que c’est possible, je vous propose en écoutant un extrait du dernier disque de Matthias Duplessy. Je vous ai choisi un morceau joyeux, joueur, et typique du mélange réussi entre différentes cultures.
ÉCOUTE : Kung Fu de Matthias Duplessy et les violons du monde — extrait de Brothers of Strings sorti en 2020 sur le label Absilone
Avec Matthias Duplessy : guitare, chant
Guo Gan : Vielle chinoise Erhu, Chant
Aliocha Regnard : vielle scandinave Nickelharpa, chant
Mandakh Daansuren : Vielle mongole Morin Khuur, chant
Stephen Bedrossian : contrebasse
Il y a des sons à taille humaine : des sons directement proportionnels à ce que l’on est capable de créer, une dimension de l’énergie de l’homme, dont l’existence et l’amplification interne n’est possible que par une harmonisation de l’être qui le crée et le porte.
Art médecine pour celui qui le fait, je vous ai parlé dans la dernière Chronique que nous musiciens passons une vie à créer un corps qui accueille la musique.
Médecine pour nous, médecine pour ceux qui écoute.
Entertainement : ce terme et ce concept qui atteint aujourd’hui l’ensemble du monde avec la mondialisation. Véritable vague dévastatrice, uniformisation des valeurs, des intervales, des temps.
Opposition donc entre un art, une musique qui traverse le corps et lui rend sa Vie, et une musique que l’on consomme, qui nous cosomme.
La musique sincère, le Cœur nous guide, El Corazon si cher au Sud-Américains. C’est lui, par ses battements, qui vient organiser nos choix, les rendre plus sensibles.
La responsabilité : Être capable de dire : je tiens à l’autre, je tiens à son être à sa pensée. La musique a une fonction sociale. Alors lorsque on nous propose d’en faire un acte de cosommation, est-ce une prise de pouvoir ou une offre de liberté ?
Cloisonnement et uniformisation, ou diversité et ouverture ?
Rendre à l’autre ce qui lui appartient. Non pas rester chacun chez soi, mais se permettre d’être soi-même, harmonieux. Cet accès à la culture de chacun c’est traduit par le concept de Droits Culturels, où chacun a le droit d’accéder à sa culture.
Longue recherche de valeurs, d’alignement, de désirs et de choix. Construire sa propre vie, et son propre chemin, au contact des autres et du monde.
Interraction permanente, écoute.
Parfois nous cherchons à rationaliser, à éloigner la mort avec la science, avec le divertissement. Expliquer chaque chose grâce à la science, qui petit à petit nous transforme en mutant. Modéliser l’humain, son cerveau, son fonctionnement.
Il y a des recherches faites sur les points d’énergie du corps humains, plus communément appelés Chakras et leurs relations avec certaines fréquences. Car la musique travaille naturellement sur ces zones.
Quelle ne fût pas ma surprise d’entedre un musicien contemporain décalérer avec joie qu’il utilisait ses « données » pour créer des expériences sonores, aussi appelées musique contemporaine. Est-il possible de ne pas voir la responsabilité que l’on a sur le corps de l’autre ?
Comment peut-on se cacher une réalité sous une « recherche » formelle?
Est-ce un confort émotionnel t mental que de penser que tout peut être mesuré?
Quelle place à l’humain ? La créativité du cœur, la responsabilité de l’équilibre et du déséquilibre ?
ÉCOUTE : Doña Ubenza – Chacho Echenique interprété en live par Ninon Valder – voix et caja vidalera
Il nous reste à faire vibrer le monde de toutes ses couleurs, à garder vivantes toutes les formes d’art, à rêver encore et jouer, chanter et danser.