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Le temps, l’espace, de rêver, créer, respirer

Magie ou alchimie de la musique
 : comment elle transforme notre rapport au monde

Radio libertaire – 19 janvier 2023

Lorsque surgit du silence le son d’une voix, d’un instrument, d’un orchestre entier, c’est pour moi le début d’une expérience nouvelle du temps.
Cette voix, ce son, qui existait déjà réapparaît au travers d’un corps, d’un instrument et métamorphose mon rapport au réel.
Une suspension, une accélération
un rythme, le temps soudain s’appuie de manière régulière dans ce qui semble être les racines d’un grand arbre millénaire.
Mon cerveau ne suit plus ses propres pensées, il se fond dans celles que m’apporte la musique,
Mon cœur se remplit d’une émotion, plusieurs émotions, parfois déborde, finalement se régénère.

La musique je l’écoute
je la fais
et ainsi en est-il pour beaucoup d’entre nous.

Par quelle magie le son d’une guitare peut-il rendre l’air épais, faire apparaître les vents et les fantômes de nos mémoires ? Ou alors la joie de toutes les fées dansantes réunies, ou bien la peur du doute profond ?

Nous, musiciens, chanteurs, la musique nous traverse, la musique nous anime, nous façonne. Comme une argile fraîche nous sommes remodelés par les sons, par les émotions.
Parfois notre vie entière est tournée vers un style de musique, et patiemment nous apprenons à être Elle, à créer un corps, une pensée, un cœur qui soit un logis confortable où Elle (la musique) puisse s’installer. Nous l’accueillons.

Combien de frontières ont été abolies par les musiciens.nes amoureux.ses de cultures différentes. Va et vient incessant, transformation et transfiguration des êtres pour
ÊTRE la musique
VIBRER
loin du faire, de l’application
TRANSCENDER

Le souvenir d’un son, d’un chant, d’un morceau nous transporte dans une rêverie.
Et lorsque la musique se fait rythme, c’est la danse qui nous traverse le corps. Il se lève, se coordonne aux sons, avec les autres danseurs, avec les musiciens. La réalité quotidienne n’existe plus, il n’y a plus que mouvements. L’utilitaire disparaît, les membres s’expriment.

La musique se fait rythme, se fait joie, comme dans cet extrait du dernier disque de Try Paradise.
Penchez votre oreille sur la magie des timbres créée par le Santoor indien, le Steelpan des caraïbes, et la basse fretless, le tout saupoudré du chant et des tablas indiens.

ÉCOUTE : Try Paradise sous la direction de JeanMarc Zelwer— sorti le 10 février chez Budha Musique.
Umadevi Nageswara Rao : chant, Jean-Marc Zelwer : santour, Patrick Chartol : basse fretless, Mathieu Borgne : steeldrum (double second), Ercan Dursun : tablas, bendir, dohola (derbouka basse)

Au cœur de mon envie de vous parler de la magie de la musique il y a une histoire. Une histoire de rêve et de guitare, d’amour et de musique. Cela se passe en Argentine, dans une des provinces du Nord-Ouest : Santiago del Estero, la terre de la Chacarera.
Cette histoire est racontée par Colacho Brizuela au micro de Françoise Degeorges lors de son émission consacrée au guitariste, arrangeur de Mercedes Sosa. On est en 2013, et j’assure la traduction.

ÉCOUTE : Extrait de Portrait du guitariste argentin Nicolás Brizuela – Interview du guitariste argentin Nicolas Colacho Brizuela et de la bandonéoniste française Ninon Valder – Occora Couleurs du monde, France Musique – 23 avril 2023 – 1’08

Si cette histoire semble simple, lors de l’enregistrement j’étais bouleversée et j’ai éclaté en sanglot. L’intensité de l’amour qu’il y avait autour de ce grand-père et son fils, une simple guitare amenée pour qu’elle soit quelque part bénie par le musicien adulé. Rêve que la musique accompagne la vie du jeune garçon, guide ses pas, remplisse les jours gris.
La guitare a transformé la vie de l’Argentine, de l’Amérique du Sud. Elle s’est faite voix de tous ceux qui la jouaient, six ou sept cordes desquelles s’échappent quantité de rythmes, de mélodies, d’harmonie. Compagne des jours de solitude des gauchos, elle devient base pour le chant, pour la poésie.
En fouillant dans mes archives pour en sortir l’interview, j’ai retrouvé un autre morceau que je vous partage aujourd’hui : Danza de los Caballos, de Colacho Brizuela. Un thème inédit que nous avons enregistré à Buenos Aires en 2015. Colacho à la guitare, et moi-même Ninon Valder à la flûte.
Écoutez comment la musique raconte l’énergie des chevaux lorsque soudain ils dansent. Écoutez la densité de l’air, écoutez la folie proche.

ÉCOUTE :
Danza de los Caballos – de Nicolas Colacho Brizuela.
Ninon Valder – Flûte, Colacho Brizuela – Guitare – Inédit – 3’11 

Sensibilité
Altérité
Vivre éperdument, lorsqu’une voix porte sa vie, mais aussi celle des autres. Lorsqu’elle s’ouvre à ceux qui ne peuvent pas chanter ainsi et qu’elle leur ouvre un passage pour se retrouver eux-même, lorsque la perfection n’est plus la valeur principale du jugement.
Lorsque nous laissons dans la voix, le corps et le cœur de l’autre le temps se fondre, se replier sur lui-même, redérouler sa queue de dragon.
Voilà la musique à l’œuvre, traversant un.e grand.e interprète, transformant autour d’une table, autour d’un feu, sur une scène, nos corps et nos cœurs, laissant la place au chemin de notre âme (ce que la Soul a très bien compris)
Il n’y a plus de divisions, il n’y a plus de couleurs, il n’y a que le plaisir d’être là et de partager un moment de grâce.
Être vivant,
Être sensible,
Écouter.

ÉCOUTE : Dzelem Dzelem, feat. Titi Robin, Stevo Teodosievski  Simeon Atanasov

extrait de  Mon histoire (Esma Reine des Tsiganes)
Label : Accords Croisés – 2007

Magie ou Alchimie ? Réalité ? Rêve ?
Pour survivre à demain nous devons changer notre rêve de société. Redevenir sensible, ouvrir nos oreilles aux merveilles du monde,
à la foule qui crie
à la foule qui sourit,
à la lune lorsqu’elle frôle les étoiles
Libre
Je tiens à honorer et remercier tous les musicien.nes et tous les amant.es de la musique qui font qu’elle vit, qu’elle existe. Ceux qui passent la nuit à écouter, ceux qui passent le jour à étudier, cette grande communauté qui vibre.

Comme le dit le philosophe Baptiste Morizot dans Manières d’être vivant : « La crise de nos relations au vivant est une crise de la sensibilité ».
Alors réveillons nous, sortons des ornières,
Repartons sur les chemins du monde, libres comme les étoiles, le cœur ouvert et le corps sensible.
Plongeons dans la magie de la musique, jouons, chantons, partageons.