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Le temps, l’espace, de rêver, créer, respirer

« Vie, féminité, rythme et diversité »

Chronique d’un Jour Bleu
Radio Libertaire 20 février

ÉCOUTE : Angélique Ionatos : O Hélios O Héliatoras enregistré en 1983, et ressorti dans la compilation Archipel (1979 – 1989) en octobre 2014 sur le label Arc en Ciel musique de Angélique Ionatos / poème de Odysseus Elytis

Dans le mois qui vient de s’écouler je suis allée voir une très belle exposition de photographies, gratuite, au Pavillon Carré de Baudouin dans le XXème : Le rire des amants, une épopée afghane. Qui nous parle de l’Afghanistan, et surtout de la vie comme l’écrivent si bien Rachel Delghati et Pierre Bongiovanni : L’exposition contribue à ce combat de la vie pour la vie. Femmes et poètes, écrivains, auteurs, artistes, photographes sont des combattantes et des combattants. Leur vulnérabilité est immense, mais toutes et tous sont invincibles parce qu’ils incarnent, à tout jamais, la beauté des fleurs et le rire des amants.

Qui sommes nous tous sinon des amants de la vie ? Chacun sa vie, son ici, son ailleurs.

Je suis nomade et mon amour à la vie passe par la joie de la découverte de l’autre.
Je suis nomade au cheval de caoutchouc,
au cheval de fer sur terre et dans les airs.
Partir en emportant ce que l’on a de plus précieux : la vie.

Dans ces chemins nomades j’a pu découvrir la beauté de la diversité des expressions humaines. Que ce soit au travers de la musique, la poésie, la peinture, la photographie…
La DIVERSITÉ !!!

Aujourd’hui une série de questions viennent se promener dans ma tête :
d’où vient la musique ? Comment s’exprime-t-elle ? Par quelle magie arrive-t-on à créer tant de diversité ?

Une expérience vécue il y a peu de temps m’a faite me poser la question du féminin et du masculin, et m’a fait comprendre une recherche personnelle forte au cours des 10 dernières années, ou plus. Je vous offre une partie d’histoire, qui vaut pour ce qu’elle est.
J’ai passé 7 ans à vivre en Argentine pour apprendre la musique de cette terre, et plus que tout le folklore argentin, au côté de Nicolas « Colacho » Brizuela, grand guitariste argentin, arrangeur, directeur musical et guitariste de Mercedes Sosa. J’ai fait le choix de l’Argentine car je suis bandonéoniste et les racines de cet instrument sont là-bas.
Et là, j’ai pu travailler sur la suspension du temps, sur l’écoute de l’autre, et apprendre à suivre, à modeler un phrasé sur mon désir ou sur le désir de l’autre.
Certains d’entre vous sont sûrement familier avec le tango, c’est une musique dont la pulsation est en mouvement permanent.
Dans le folklore, je peux vous parler de la Zamba argentine, avec un z. Qui peut prendre la forme d’une danse plus rapide ou d’un chant, plus lent, où le silence est un part importante de la musique.
Cela ne peut se faire que dans une écoute profonde de soi et de l’autre, que ce soit dans des pianos ou des fortes, j’ai appris à créer cette écoute enrichie qui permet d’être directement inspiré par l’instant présent.

J’ai toujours eu du mal à comprendre pourquoi il fallait diviser le masculin et le féminin, même si il y a des raisons évidentes et apparentes de différences entre hommes et femmes. Mais c’est une question qui se pose à moi régulièrement, vu que je suis une femme, dans le monde de la musique, dans un monde actuel où nous nous questionnons sur le rapport entre les genres.
Je ne me suis jamais sentie en dessous des hommes, ou avec moins de puissance sonore, ayant une bonne capacité à créer du volume sonore ou à jouer vite. Mais dernièrement je me suis trouvée obligée de suivre l’autre, non pas parce que nous étions d’accord, mais parce que l’autre jouait plus fort et plus vite. Et soudain j’ai compris où se situait le féminin, dans cette écoute précise et délicate, et le masculin dans une vitesse et un volume.
Une diversité nécessaire pour créer : la délicatesse traversée par la puissance.
Attention toutefois à ne pas écraser le délicat sous un pied trop lourd, à laisser les jeunes pousses éclore pour donner les fleurs avant de décider qu’elles ne servent pas.

J’ai rencontré tellement de musiciens hommes ayant une part de féminité très grande et de musiciennes femmes ayant à l’inverse une part de masculinité forte. Toujours cette sensation de rechercher l’équilibre juste entre les deux pôles. Finalement c’est de nouveau la 3ème voie qui compte !

ÉCOUTE : Dorotea la Cautiva, de Ariel Ramirez et Felix Luna par Ninon Valder et Leonardo Sanchez extrait de Canto de los pueblos – Le Chant des Villages paru en 2019 sur le label Les Belles Écouteuses.
Leonardo Sanchez, est un grand guitariste argentin vivant en France et capable d’explorer l’Argentine et le monde avec sa guitare.

Ce chant nous parle de la liberté. La liberté de choisir ce que l’on est, ce que l’on fait, et que l’imposition, la soumission n’est jamais une solution. C’est une femme qui parle de son amour pour un homme, pour un peuple, qui au départ n’était pas le sien et qui l’est devenu.

Mais pour revenir à ma question : d’ou vient la musique ?

Y a-t-il une seule réponse ?
Tout d’abord celle que donne Angélique Ionatos sur la création de la musique de O Hélios O Héliatoras :
« Sans les poètes, je n’aurais pas eu envie de chanter. Sans le verbe, je n’aurais pas eu le désir de créer le son ».
Aujourd’hui j’évoquerai celle-ci : la musique vient du cœur,
Un besoin d’exprimer des émotions, des sentiments, de sublimer des joies et des douleurs.
Cela peut paraître simple, mais cela a déclenché en moi des réflexions sur le rythme. Car le cœur est notre premier référent rythmique. Il a sa propre cadence, ses accélérations.

En pensant rythme, j’ai pensé à un très grand percussioniste franco-indien vivant en France, Prabhu Edouard. Et il a accepté d’échanger avec moi hier après midi, et c’était merveilleux de pouvoir écouter son point de vue de rythmicien (par opposition, je me considère mélodiste).
Je suis arrivée avec l’envie de parler de cycles, d’organisation un peu mathématique de la musique : le binaire, le ternaire, les mesures impaires comme richesse du monde. Il m’a ramené à l’intime du rapport à la pulsation, que chaque percussioniste a son rapport au temps, qui est derrière, dessus, devant.
Ces différences qui paraissent toutes petites sont très importantes et transforment complètement le sentiment qui est créé dans les pièces jouées.

Et quittant cet infiniment petit, Prabhu a aussi parlé du temps nécessaire à l’apprentissage. D’abord l’apprentissage d’une cellule rythmique, pour lequel son maître lui donnait une semaine de travail. Puis l’apprentissage de l’humilité pour le musicien fasse à la musique, à l’impossibilité de faire rentrer dans un horaire ce que la vie a à nous apprendre pour pouvoir s’exprimer au travers de nous.

Que de niveaux de diversités qui se croisent et s’enrichissent.

ÉCOUTE : Prem Gita de Prabhu Edouard, extrait de l’album KOLAM de Prabhu Edouard, paru en novembre 2016 sur le label Lokanga – Rue Stendhal – avec Johann Berby, bass, Sylvain Barou, flutes et Sandip Chatterjee, santoor

La musique… quelle merveille pour nous permettre d’embrasser la diversité, garder les yeux ouverts, découvrir et apprendre à aimer !