Musique buissonière
une réflexion sur la musique et l’éducation – 21 janvier 2024 – Radio Libertaire
Chères auditrices, chers auditeurs,
Avant toute chose je vous souhaite une très belle année 2024.
Je vous invite aujourd’hui à me suivre dans les chemins du monde. J’ai revêtu mon manteau de voyageuse, le pas léger, le cœur allègre, je m’engouffre dans les chemins de traverses, à la recherche de la musique buissonnière. Buissonnière, cela ne vient-il pas de buissons ?
Où sont les buissons, ces arbustes épineux qui pouvaient délimiter un enclos à chèvre ? Ah je les vois là-bas au loin.
Ma flûte de berger bien accrochée dans le cœur, je file parcourir le monde. Les flûtistes nous avons tous un rapport avec les bergers. Ces hommes qui jouaient en gardant les moutons, pour que le temps passe.
ECOUTE : Improvisation flûte – par Ninon VALDER – live au studio
Je parcours le monde en recherche de buissons ! Tel l’animal dont les baies préférées sont là, sur ce buisson particulier. Du haut de ma colline, flûtes à la main, je regarde, et mon regard s’arrête sur les humains, leurs vies, leurs rituels, leurs organisations. Je vois que les grandes migrations ont commencé et les grands métissages aussi.
J’écoute les rumeurs du monde. Le son du vivant, qui se mêle au son du mécanique et de l’électrique. Électricité qui nous brûle de facilité d’informations, d’amplification, parfois nous remplit du non faire, du non savoir.
ECOUTE : Improvisation flûte – par Ninon VALDER – live au studio
Pourquoi partir d’un lieu si lointain et imaginaire que le voyage d’un berger ?
Pas de côté, recul pour questionner le rapport direct que la musique a avec notre éducation qui nous amène à nos modes de vies.
La musique qui reflète nos paysages intérieurs, et nos rêves bigarrés.
Rêve ? aujourd’hui quel est le rêve, quels sont les rêves de l’humanité ?
Savoir ? Accumulation matérielle ? Plaisir ? Art ?
L’éducation a-t-elle pour désir de créer une évolution? Ce qui est sûr c’est qu’elle nous apprends à vivre dans un milieu en particulier, que ce soit la France, l’Australie ou la Sibérie, nous sommes quelque part sur la planète. Nous devons apprendre à survivre dans le monde qui nous est donné de vivre. Sujet à plusieurs entrées nous pouvons voir dans l’éducation : l’école, la famille et les autres lieux.
Depuis plusieurs mois je me questionne sur le fait que j’entends de plus en plus une musique standardisée, qu’elle soit d’ici ou d’ailleurs, et que la musique acoustique est fortement minorisée. C’est non sans une certaine tristesse que je vois disparaître les diversités au niveau planétaire. C’est suite à la visite de l’exposition de photographies de Natalya Saprunova intitulée « Evenks, les gardiens des richesses yakoutes » à Visa pour l’image en septembre que j’ai commencé à me questionner. Je n’ai pas de réponse, je n’ai que des questions !
Le contexte de cette exposition : « Le 29 juillet 2022, sur une rive du lac Baïkal, les Evenks de toute la Russie se réunissent pour la première fois. Peuple autochtone d’éleveurs de rennes, ils ont trouvé dans le Congrès toungouse l’occasion de visiter leur site originel, berceau de leur culture. »
Dans cette exposition je commence par la fin, et la première photo que je vois c’est la célébration de quelques uns de ce peuple, en habits traditionnels, qui jouant de la musique et dansant demandent à l’univers de pouvoir continuer à conserver leur culture. Puis je vois une photo d’un jeune garçon dans un quatre roue (ce petit véhicule à quatre roues motrices qui va dans la neige) avec un téléphone intelligent dans les mains. Et puis la photo de l’école, et le texte qui dit que depuis que l’école est arrivée les jeunes ne veulent plus faire le métier transmis par les parents.
Je comprends alors leur rituel de la première photo, une culture se meurt.
Nous évoluons et grand bien nous fasse. Comment ne pas perdre la diversité des couleurs des formes des habits, reflets eux aussi que l’on retrouve dans la musique ensuite.
Dans la musique comment s’éduque-t-on à un tempo, à une harmonie? Si nous avons accès à une quantité extravagante de musiques grâce aux applications, sommes-nous encore capable de les écouter ? Où sont les blancs entre les morceaux qui nous permettaient de respirer, de prendre un espace pour laisser résonner la musique qui venait de se terminer?
Il y a une question plus importante pour moi : nous sommes sous le joug du métronome et du correcteur de justesse. Petite explication pour nos auditeurs qui ne sont pas si complices avec la musique. Le métronome est ce petit instrument, aujourd’hui électronique qui fait Tic-Tac à des vitesses différentes. On le fixe généralement sur un temps pour travailler une régularité, car nous avons besoin d’un entraînement pour être régulier. Nos rythmes sont normalement celui de notre cœur et celui de notre respiration, qui sont tous deux liés à beaucoup de facteurs de notre vie, et qui bougent en permanence.
De la même manière les intervalles entre les notes sont plus ou moins « justes » et de cette justesse vient une expressivité. L’éducation de notre oreille à des mondes sonores est fondamentale pour expérimenter la richesse de l’expressivité humaine.
Pour revenir sur le territoire français, de mes origines cathares je garde un rapport particulier avec l’Occitanie. Où depuis longtemps il y a une préoccupation, tout comme en Bretagne, sur une éducation alternative, en lien avec la langue parlée sur le territoire.
Plusieurs penseurs ont développé des écoles alternatives au niveau national et mondial : Montessori, Steiner, Frenet et d’autres…
Mais revenons en occitanie, et retrouvons des voix particulières, non uniformisées, musique buissonnière. Vous les connaissez bien, elles existent depuis vingt ans. Ce sont 4 femmes qui chantent et travaillent avec la complicité d’un compositeur-arrangeur. D’un côté la tradition, de l’autre la musique contemporaine, celle qui st écrite aujourd’hui. Une création de musique mais aussi d’instruments pour être en acoustique avec des sons si surprenants qu’ils paraissent saturés. Une musique de traverse, engagée. Elles disent elles-même :
« Alors que les cultures humaines se nivellent par le pouvoir médiatique et que les sociétés se détissent en solitudes numériques, nous nous efforçons de fabriquer des bouts d’identité. »
Vous avez trouvé ? On écoute La Mal Coifée.
ECOUTE : An Culhit lo silenci 4’56
La mal Coiffée – Extrait de l’album ROGE Caparrut – Sortie le 09 DEC 22
Production : Sirventés
Distribution : L’Autre Distribution
Karine Berny : Chant, bombo leguero, pétadou
Myriam Boisserie : Chant, pétadou, monocorde
Marie Coumes : Chant
Laëtitia Dutech : Chant, adufe, bendir, tambourins, tambour, monocorde
Laurent Cavalié : Écriture, composition, arrangements
Les grandes migrations nous apporteront-elles la possibilité de confronter nos imaginaires, d’accueillir cet autre pluriel, qui a déjà dû partir de chez lui, et qui finalement n’est pas complètement ni de là-bas, ni d’ici. Il a, comme le dit Michel Serres dans son livre Le Tiers Instruit, passé un seuil, et ce lieu, ce milieu de la rivière est un troisième lieu pour lui, un troisième être.
La musique comme les êtres a besoin de faire l’École buissonnière, de sortir du radar du connu, du surveillé. Comment oser traverser la rivière froide vers l’inconnu ? Pour ensuite retrouver la terre ferme, terre nouvelle, être différent. Nourri des deux terres et de son expérience.
En attendant beaucoup de musiciens sont sur le terrain et font, que ce soit dans les structures déjà existantes comme les conservatoires, les écoles de musique ou de nouvelles structures comme la Kreiz Breizh akademi d’Eric Marchand (qui fêtera ses 20 ans), ou Caminaires (qui en est à sa deuxième promotion), l’école de chant des Glotte-Trotters, ou encore la Cité des Marmots de Ville des Musiques du Monde et sûrement d’autres initiatives que je ne cite pas ici.
Éducation à la diversité, à la musique, à l’amour, à déceler tout ce qui est profondément humain afin d’éviter une gouvernance en masse par des machines.
Éducation aux chemins de traverse qui viennent soutenir les chemins conventionnels, que chacun puisse tisser son paysage dans le respect des autres.
Alors chers auditeurs, chères auditrices, je vous souhaite à nouveau une belle année 2024, qu’elle soit créative dans votre rapport à la vie, à chercher des chemins de traverse, des buissons remplis de baies multicolores, d’un souffle qui vous permette d’embrasser l’accueil et de propulser l’inventivité nécessaire à cette période.
Et bien sûr, jouez, chantez, dansez !
Une dernière écoute avec Yair Dalal, un chant pour la paix